Save a horse, ride a cowboy [UC]

Columbia St Mary's Hospital, Milwaukee: 23 janvier 2009
Just one breath…

10...9.……………8
Et voilà, c'est partit mon vieux! Tu vas t'endormir, paisiblement. Bientôt, tu n'entendras plus ces voix, le bruit métallique des instruments, tu ne sentiras plus la froideur de cette pièce, tu ne ressentiras d'ailleurs plus rien du tout. Le néant.

Les médecins m'avaient expliqué l'opération des dizaines de fois, si ce n'est plus. Je pouvais presque réciter par cœur le protocole opératoire tellement ces paroles m'avaient été répétées maintes et maintes fois. Parallèlement, je n'y avais jamais cru. La chance n'avait jamais fait partie de ma vie, je n'étais pas né sous une bonne étoile, ou toute autre connerie du genre. Mon pessimisme avait son sens, et la raison en était simple. Pour que je passe le cap de la trentaine, il me fallait un nouveau cœur. Quelles étaient les chances pour qu'une personne compatible à plus de quatre-vingt dix pour cents avec moi meurt dans les six prochaines années? En prenant en compte la liste d'attente, les facteurs externes et toutes mes déviances personnelles, comme mon sérieux penchant pour l'auto destruction, et le fait que je ne me soigne pas, les chances étaient minces. Trois semaines que j'étais dans ce foutu hôpital, après un malaise cardiaque. Les salauds n'avaient pas voulu me laisser partir, et ce cœur était arrivé. Une compatibilité presque parfaite, comme si il avait été fait pour moi. Le chirurgien avait dit que c'était un nouveau départ pour moi. Quel con!
Et me voilà allongé sur une table d'opération, prêt à être disséqué. Dans les grandes lignes, ils allaient m'ouvrir le thorax, me scier deux ou trois côtes, mettre en place la circulation extra corporelle et la protection myocardique, retirer mon cœur défaillant et le remplacer par le nouveau, stopper la CEC et me refermer. Simple en théorie, moins dans la pratique. Juste une longue sieste.

D'ailleurs, ne devrais-je pas être déjà en train de dormir? Combien ça mettait de temps ce truc? étais-je déjà endormi? Je ne m'étais pas senti partir. Je n'entendais plus leur voix, je ne sentais plus la douceur du matelas chauffant, alors pourquoi parvenais-je encore à penser? J'étais persuadé que je serais plongé dans un sommeil sans rêves, sans songes, sans conscience, le vide intégral, et ma tête continuait de bouillonner. Etait-ce normal? Et pourquoi la désagréable sensation de pouvoir ouvrir les yeux et de quitter cette salle ne me quittait pas. Ils m'avaient pourtant collé du sparadrap sur les paupières, j'avais eu le temps de le sentir, mais devrais-je en être conscient? Peut-être le pouvais-je réellement, peut-être pas au sens littéral, mais le pouvoir de suggestion était immense. M'évader de cet endroit, pour quelques heures, juste quelques instants de liberté bercé par les produits anesthésiants. Alors je me concentrais.

J'ouvris les yeux, plus aisément que je ne l'avais pensé, mais je ne m'étais en rien évadé de l'hôpital, et la vision que m'apparut ne m'enchanta pas. Me voir allongé sur une table d'opération avec une dizaine de types en blouses bleues n'avait rien de réjouissant. J'avais l'air paisible, alors que le chirurgien me passait un pinceau sur le long du thorax, laissant une traînée rougeâtre derrière lui. Je ne sentis pourtant rien. Ils n'avaient pas l'air conscient de ma présence, d'ailleurs, comment l'auraient-ils été? Tout ceci n'était que le fruit de mon subconscient, de mon imagination. Je laissais alors un rire franc et moqueur s'échapper de ma bouche quant à ma pathétique tentative d'évasion, stoppé dans mon élan par une présence derrière moi. Je me retournais aussi vite que je le pus, pour tomber nez à nez avec un garçon blond aux yeux bleus qui ne devait guère avoir plus de cinq ans, et dont le visage m'était étrangement familier. J'eus envie de lui demander ce qu'il foutait ici, mais comme si il avait entendu ma question muette, il me tendit la main et poussa la porte du bloc opératoire. Tout ceci n'avait aucune logique, mais poussé par un sentiment que je ne parvins pas à identifier, je me vis accepter sa main potelée et le suivre, jetant un dernier regard vers la salle, juste à temps pour voir le scalpel s'approcher dangereusement de mon torse. Quand je retournais mon attention vers le garçon, les couloirs de l'hôpital avaient laissé place à un couloir plus sombre, cerné de briques rouges, et lui aussi curieusement familier. Le blondinet se tenait debout sur une chaise, derrière une baie vitrée, le regard fixé sur quelque chose que je ne pouvais distinguer. Intrigué, je m'avançais, mes pieds nus accrochant le sol. Je me rendis compte que je portais encore ce pantalon et chemise stériles bleus et j'arrivais bientôt à hauteur du bambin pour regarder ce qui l'absorbait tant.


Baptist Children's Homes, New York: 16 juin 1997


Un coup violent l'atteignit à l'arcade sourcilière, et le jeune adolescent laissa échapper un cri de douleur, portant une main à sa tempe ensanglantée. Six jours qu'il était arrivé dans ce nouvel orphelinat, qui ressemblait plus à un foyer d'accueil, et six jours qu'il se faisait tabassé pour des broutilles. La première fois, ce fut pour lui soutirer les quelques malheureux dollars qu'il avait en poche. La seconde fois, pour un collier en or qui appartenait à sa mère, et les jours suivants, parce qu'il ne possédait plus rien de valeur et que les trois autres l'avaient désigné comme souffre douleur. Gabriel n'avait que douze ans, et avec son air chétif et sa petite taille, il ne pouvait pas grand-chose face aux grands de dix-sept ans. Son seul réconfort était de se dire qu'ils seraient bientôt majeurs et qu'ils quitteraient le foyer, mais au bout de six jours, il était déjà à bout. Et ce manège allait certainement durer des mois. Combien de temps tiendrait-il, même avec un moral d'acier, ce dont il ne possédait de tout façon pas. Le jeune garçon connaissait bien ce genre d'endroits, il avait été confié à l'assistance publique à ses cinq ans, et se plaindre aux supérieurs ne faisait qu'aggraver les choses. Ce foyer était sa dernière demeure avant le rue, il en était conscient. Cet endroit était destiné aux enfants qui n'avaient pas été adoptés, et qui ne le seraient de ce fait jamais. Les futurs parents recherchaient des enfants en bas âge, alors plus vous grandissiez, et moins vos chances d'être pris étaient grandes. Le blondinet s'était fait une raison.

" Alors morveux, qu'est-ce t'as à nous r'filer? " l'apostropha le chef de la petite bande en l'attrapant par le col de son pull, prêt à le frapper.

" Rien….rien, vous m'avez pris mon argent et le collier, j'ai plus rien, s'il vous plaît " supplia Gabriel, les larmes aux yeux.

" Eh r'gardez les mecs, c'te fiotte va se mettre à chialer sa mère " lança le plus grand tandis que les deux autres s'esclaffaient de rire.

" Ouais vas-y Richie, cognes le! " aboya l'un de ses acolytes, une pointe d'excitation dans la voix.

Alors une pluie de coups s'abattit sur le jeune adolescent, qui se recroquevilla en boule, les mains sur la tête pour tenter de se protéger. Encaisser sans broncher, oublier la douleur, s'évader loin, disloquer le corps de l'esprit, et peut-être que ça passerait plus vite. Ils finiraient bien par se lasser, il fallait juste penser à autre chose, le temps que ça s'arrête, mais les secondes semblaient s'égrener à un rythme presque irréel et la douleur commençait à devenir insupportable.

" J'suis sûr que t'as encore des trucs à r'fourguer, j'te crois pas quand tu dis qu't'as plus rien " souffla Richie en continuant à le frapper.

" Moi je le crois " lança alors une voix inconnue, et les coups cessèrent.

Timidement, Gabriel releva son visage tâché de sang et de larmes pour découvrir à quelques mètres du petit group un autre adolescent, et bien qu'il ne fut pas grand en taille, il paraissait plus mûr que les trois autres, ses poils au menton y étant peut-être pour quelque chose. Le jeune garçon l'avait déjà croisé à plusieurs reprises dans les couloirs, ce brun aux yeux noirs qui ne souriait jamais et à l'air taciturne qui disait clairement de ne pas aller l'asticoter de trop près. Ici, on le surnommait l'Irlandais, et apparemment, mieux valait ne pas traîner dans ses pattes. Il avait baissé la tête et accélérer le pas, soucieux de ne pas se faire un nouvel ennemi. Pourtant, c'était grâce à lui que les coups avaient cessé de pleuvoir, pour le moment.

" Tires toi Larsen, c'pas tes oignons " aboya Richie, mais son ton trahissait une certaine appréhension comme si sa phrase ressemblait plus à une requête qu'à un ordre.

Il faisait pourtant deux têtes de plus que le brun ténébreux, qui restait sans broncher au milieu du couloir, les mains dans les poches, le visage impassible ne trahissant aucune émotion particulière, comme si il ne passait rien. Et lorsque Gabriel entendit la phrase de cet inconnu, il écarquilla grand les yeux, la douleur lui rappelant la scène qui se jouait encore quelques secondes plus tôt, se demandant si ce Larsen n'était pas suicidaire.

" Va chier tête de gland " lâcha-t-il simplement.

Cette fois-ce, Richie se désintéressa complètement du blondinet pour se concentrer sur le nouvel arrivant. Craintif face à lui peut-être, mais il fallait croire que se faire rabaisser devant ses deux larbins qui n'en menaient pas large non plus l'avait blessé dans son orgueil. Larsen allait certainement se faire tabasser, mais dans son esprit lâche, Gabriel pria presque pour cette alternative et qu'on le laisse tranquille, qu'un autre prenne sa place, une personne plus forte. En un seul claquement de doigts, comme deux chiens dressés à l'attaque, les deux copains de Richie se ruait sur le jeune inconnu. Ce dernier ne bougea pas d'un millimètre et au moment où le premier des deux, un garçon obèse qui suffoquait à chaque effort physique, arriva à sa hauteur, il se mit accroupi et lui fit une béquille qui le fit tomber lourdement sur le sol, sa tête claquant le sol avec un bruit sourd. Le second, Earl, maigrichon mais toute en hauteur, parvînt à se jeter sur l'intrus et à lui asséner une bonne droite, qui trouva vite réponse par un violent coup au plexus qui coupa la respiration à ce dernier suivit d'un jolie uppercut menton. Tranquillement alors, et s'essuyant la bouche à cause d'une lèvre ouverte, Larsen s'approcha des deux derniers, Richie et Gabriel, sortant un petit objet de sa poche que le blondinet n'identifia pas immédiatement.

" Ah Richie Richie Richie, t'as vraiment un nom de racaille de série B " commença le jeune homme d'un ton neutre. " Et t'attaquer à un gosse de douze ans, franchement, faudrait revoir la valeur de ce que tu as entre les jambes " continua-t-il sur le même ton presque enjoué, ce qui en fait était assez déstabilisant.

" Ecoutes Larsen…. "

" Ta gueule, c'est moi qui parle maintenant " cracha-t-il en actionnant la lame de son cran d'arrêt, le fameux objet jusque là non identifié, ce qui réduisit Richie au silence et le fit même reculé jusqu'au mur. " Tu vas foutre la paix à ce gosse, définitivement tu m'entends, ou je te jure que tu sortiras de cet enfer les pieds devant. A partir de maintenant, si tu le touches, c'est moi que tu touches, compris? Si j'apprends que tu l'as approché de trop près, je te les coupe " expliqua-t-il calmement en plaçant la lame froide sous la gorge du caïd qui écarquillait les yeux. " Tu te souviens de ce qui t'es arrivé la dernière fois que tu m'as contrarié n'est-ce pas? " demanda-t-il, et comme pour lui rafraîchir la mémoire, il lui donna un puissant coup de genou entre les jambes qui le fit se plier en deux, les mains en coupe au niveau de ses précieuses ridicules.

Le brun au bouc naissant se retourna alors vers Gabriel, qui avait assisté muet à toute la scène, et eut un mouvement de recul quand ce dernier tendit une main vers lui, avant de l'accepter et de se relever, le fixant de ses grands yeux bleus encore humides. Le plus vieux garda sa main dans la sienne et lui adressa un demi sourire, sans doute le seul qu'il verrait jamais ici.

" Liam " se présenta-t-il.

" Gabriel Letham " répondit timidement le blondinet, alors que Liam lui fourrait sont cran d'arrêt replié dans la main.

" Tiens, prends ça, t'en as plus besoin que moi. C'est pas compliqué, tu plantes, tu tournes et tu ressors. "

" Pourquoi je dois tourner? "

" Bah pour que la plaie reste ouverte bien sûr " répondit l'aîné le plus naturellement du monde, mettant une main autour de ses frêles épaules, le poussant à avancer.

" Ah oui, bien sûr " répondit ce dernier en rangeant l'arme dans sa poche, suivant l'allure imposée par Liam, lui jetant des regards admiratifs et se sentant pour la première fois depuis longtemps en sécurité.


A partir de ce jour, personne ne m'a plus jamais touché au foyer. J'étais devenu le protéger de l'Irlandais, celui que tout le monde craignait, et qui paraissait plus dur qu'il ne l'était vraiment. Il m'avait permis de rester un gosse encore quelques temps, et de me sentir en sécurité. J'avais surtout trouvé un grand frère, un meilleur ami, un confident, une personne forte pour me guider, car nos quatre années de différence représentait beaucoup ici. Et bien qu'il avait décidé de ne s'attacher à personne, je savais au fond qu'il me considérait lui aussi comme son petit frère. Je n'ai jamais su pourquoi il avait pris ma défense ce jour-là, lui qui ne se mêlait jamais des affaires d'autrui. La seule réponse que je réussis à obtenir fut qu'il avait envie depuis longtemps de démolir Richie, et je ne cherchai pas à lui faire avouer la vérité. Il avait été là, ça m'avait suffit. Et quand je repense à cette scène, je me réjouis à l'idée que Richie n'a plus jamais uriné sans souffrir de martyr et sans une pensée pour Liam et moi-même.